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   J'ai commencé ma collection numismatique très jeune. Les monnaies m'ont toujours attiré, surtout celles en or. Ce métal a, de tout temps, eu mauvaise presse : symbole des vaines richesses, des dangereuses tentations, de la corruption, il est le fléau de l'humanité chez les moralisateurs et les sentencieux de tout acabit. Tout cela est surement vrai. Mais c'est une belle matière, il a une teinte profonde, chaude et douce, il est lourd dans la main, il tinte joliment, il est quasiment inaltérable, ne vieillit pas ou, alors, acquiert une délicate patine. Ses applications sont multiples et, très tôt, il tint une place à part chez tous les peuples. Et il servit à façonner parmi les plus beaux spécimens de monnaies.

   Je faisais sourire avec indulgence Jean Vinchon et sa fille, Françoise Berthelot-Vinchon, quand je lorgnais vers une monnaie d'or imposante, d'un intérêt numismatique limité, mais dont la masse lumineuse et l'état généralement superbe laissait exhaler un charme vénéneux proche du mauvais goût absolu ! Heureusement, après avoir risqué de succomber en quelques occasions, je recouvrais mes esprits, raffermissais mes choix et repartais à la conquête de cibles plus probantes.

   En fait, plus sérieusement, jai toujours suivi un fil conducteur strict, grandement aidé en cela par les visites fréquentes que je faisais rue de Richelieu, où Jean Vinchon, de sa manière discrète et presque paternelle, avait le commentaire approprié et sensible pour accompagner la bonne décision. Ainsi, jai privilégié des époques présentant un intérêt numismatique réel, correspondant, dailleurs, à des temps de grande histoire - l'antiquité classique, la monarchie française - ou à des moments charnières comme l'épopée napoléonienne et ses prolongements. J'effectuai quelques incursions vers les monnaies gauloises également, magnifiques et originales, et que Malraux tenait en très haute estime leur trouvant un modernisme surprenant. Les monnaies des périodes en question sont passionnantes et souvent fort belles ; elles réunissent esthétique de la conception, élégance de la gravure, sûreté et précision de la frappe.

   Cette corrélation entre haute époque et belles monnaies n'est pas une surprise : les régimes forts et stables suscitent la mise en circulation de monnaies de bon aloi, fabriquées dans des ateliers strictement contrôlés ; elles sont généralement ornées des marques de la puissance et de la sérénité que sont, notamment, d'agréables effigies de monarques ou de dieux et des inscriptions propitiatoires éloquentes, souvent prudentes en essayant, par exemple, de se concilier les faveurs divines…

   Par ailleurs, si la rareté ma parfois retenu, l'autre constante de ma collection fut surtout la recherche de la qualité qu'accompagnait éventuellement un pedigree flatteur et émouvant ; nombreuses sont, en effet, les pièces émanant de grandes collections (Farouk, Gallia, Canovas, Peyrefitte, Marcheville, Guilloteau, Ferrari, Velkov, Féret, …). On peut supposer de certaines monnaies quelles n'ont pratiquement pas circulé, on en ressent encore la fraîcheur de la frappe. Dautres ont été tenues dans les mains de collectionneurs talentueux et célèbres. Certaines ont 2.500 ans, ce qui nest pas rien. Toutes ont vécu et la plupart diraient des parcours étonnants si elles pouvaient sexprimer. Elles ont une histoire.

   Enfant, l'histoire me passionnait dans ce quelle avait de spectaculaire et de dramatique ; je me perdais volontiers dans un planisphère coloré en rêvant aux conquêtes éphémères et vaines à travers les âges, me disant que là, je my serais peut-être pris autrement et quici, jaurais probablement commis les mêmes erreurs de jugement et me serais laissé emporter par le destin. Et jai retrouvé dans les monnaies les mêmes motifs de rêves et de réflexion que dans la lecture dun récit historique. Mieux, en raison de leur attirance et de la possibilité de les contempler à loisir, jen venais à me croire le visiteur tranquille et permanent d'un musée imaginaire. Car on touche là, en effet, un domaine proche de la statuaire. Il y a, de fait, de la matière façonnée dans une monnaie et on va des visages aux portraits en pied et jusquà des scènes complètes et expressives. Et que démotion renouvelée, combien de découvertes de détails ravissants et troublants au fil des contemplations successives !
   
   Parmi les monnaies grecques, je trouvais que l'Athéna casquée du statère de Philippe III arborait un sourire énigmatique et gourmand ainsi qu'un profil net et reposé de déesse protectrice ayant bien rempli son devoir tutélaire.
   En Gaule pré-romaine, le statère d'or des Parisii expose ce fabuleux visage de guerrier aux cheveux en bataille et aux traits furieusement stylisés comme l'on nen a jamais vu et comme l'on nen revit jamais ; toujours en Gaule, chez les Redones, ce statère d'or à la cavalière montre une guerrière ardente, en appareil pour le moins léger, qui a l'air de combattre avec un entrain assurément communicatif. Je plains les ennemis...
   Dans l'Empire romain, on discerne presque chez Pertinax, empereur éphémère mis sur le trône par les Prétoriens, la sourde crainte que le pouvoir militaire qui la mis là par l'assassinat de son prédécesseur pourrait bien l'en retirer par le même procédé, ce qui fut effectivement le cas quelques semaines plus tard.

   Les splendides monnaies des Valois (notamment, le pavillon d'or, l'ange d'or et le florin Georges) ont adopté le côté hiératique et lointain des mises en scènes gothiques pour accentuer la majesté de la royauté dalors. Le salut d'or de Charles VI, extrêmement rare, est le modèle du fascinant salut d'or, frappé à Rouen par Henri VI de France et dAngleterre en 1423 ; au milieu du drame inouï que vivait la France au plus profond de la Guerre de cent ans, les Anglais émirent cette monnaie reprenant le dessin français, mais au double signe de la fleur de lys et du léopard, 'Ange Gabriel souriant vraiment à la Vierge sur cette frappe.
   Viennent ensuite les monnaies des Bourbon : on voit bien sur les émissions des années 1640 que Louis XIII est rassuré d'avoir donné naissance, enfin, à un rejeton magnifique ; du coup, son port, assez moderne, est tranquillement royal.

   Les monnaies de Louis XIV montrent l'évolution de son visage majestueux jusquà la vieillesse extrême au travers de quelques spécimens captivants dont certains tel le louis de Béarn - fort peu courants. Les monnaies de Louis XV égrènent la même suite somptueuse du portrait du monarque depuis la plus tendre enfance - du très rare double louis aux insignes de 1708 aux louis de Noailles couronné ou du Saint-Esprit - jusquà l'âge le plus reculé, la moue boudeuse et altière du double louis au bandeau (Perpignan 1752) glissant tristement jusqu'au visage marqué et si attachant de l'année de la mort du roi (Lyon, 1774). On notera le rarissime demi-louis d'or à la vieille tête de 1772.

   Quant aux monnaies de Louis XVI, elles sont à limage de son règne : prometteuses au départ avec le juvénile louis d'or aux palmes, elles se renouvellent peu et, semblant ne plus y croire vraiment, elles montrent rapidement un homme déclinant et empâté se reprenant sur la fin mais trop tard sous la Convention. Et là, nous avons probablement l'une des monnaies les plus dramatiques de 'lhistoire de France, le louis d'or de 24 livres : le roi désormais constitutionnel - avec son air traqué, semble contempler avec effarement et incrédulité sa propre débâcle, quelques mois avant sa décapitation (1792), les insignes républicains à l'avers lentourant déjà de leur certitude menaçante.

   L'année suivante (1793), la Convention émettra en petite quantité la seule pièce d'or de la Révolution après la fin de la Monarchie, le louis de 24 livres, qui sera le dernier monnayage français à conserver le poids des louis d'or de l'Ancien régime avant que, longtemps après, Napoléon ne fasse frapper les premières émissions d'or de son temps, annonciatrices de l'époque actuelle.

   Et ces temps modernes démarrent en fanfare avec une succession de napoléonides absolument passionnants et, probablement, sans équivalent dans l'Histoire. En peu d'années, l'Empereur, ne sembarrassant pas de détails superflus, saupoudra l'Europe de sa famille (comme pour le roi Jérôme en Westphalie avec ses thalers et ses franken) et de ses fidèles (Murat à Naples qui, prudent, ne revint pas se battre en 1815) en remplissant les cases vides des trônes des royaumes, principautés, grands-duchés et autres enclaves laissées vacantes ou récemment créées.
   La numismatique de cette époque est éloquente et riche. Elle montre aussi que l'on est allé trop vite trop loin et l'erreur fatale de s'incruster en Espagne (avec le roi Jérôme et sa pièce de 80 reales) préfigura de peu le bourbier russe. En définitive, ne survécurent que les sages (Bernadotte et son ducat d'or) ou les personnes délicieuses que les évènements dépassèrent un peu mais qui avaient des relations (la monnaie de 40 lire de Marie-Louise, Duchesse de Parme, Plaisance et Guastalla, est absolument charmante).

   Après cette période courte et flamboyante comme on en vit peu dans l'Histoire, l'Europe du Congrès de Vienne imposa la paix même relative - pour pratiquement un siècle. La France, épuisée et surveillée pour longtemps, abaissa la voilure et se contenta de monarques qui ne se battirent pas trop pour laisser la place à leurs successeurs, ces derniers devenant même de plus en plus bourgeois au fil du temps ce qui facilita le passage à la République.

   Le monnayage de cette époque ne manque cependant pas d'intérêt, même s'il est plus réservé. La qualité de la frappe permit des reproductions splendides, dont profitèrent les monnaies de Napoléon III puis de la Troisième République. Enfin, les soubresauts du XIXème siècle suscitèrent quelques émissions passionnantes et superbes, telle celle du délicat et très rare piéfort de Henri V (1832) ; il faut noter aussi lessai de monnaie universelle (tel celui de 25 francs/10 florins or de 1867), étonnante préfiguration sous le Second Empire dune intégration monétaire que nous nenvisageons même plus à cette échelle puisquelle incluait le dollar américain…

   Mais, désormais, nous devons bien constater que l'assagissement des monnayages est général, que les métaux précieux ne sont plus employés à quelques exceptions près depuis longtemps et que, même, la démonétisation gagne à grands pas.

   Heureusement, les monnaies anciennes seront toujours là !

J.-P. L.-R.