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Conservateur général du département des Monnaies Médailles et Antiques
de la Bibliothèque Nationale de France


Le trésor monétaire présenté ici à la vente a été découvert au début de l’année 2004 dans la ville de Bazas au cours de travaux de réfection d’une maison par le propriétaire de celle-ci. Dans une cachette aménagée à l’étage dans un mur de pierre se trouvaient deux pots de terre cuite, de forme et de fabrication différente (l’un est de terre grise brute, l’autre de terre blanche vernissée vert) ; ces deux pots contenaient des monnaies d’or et d’argent ; un grand nombre de monnaies de billon (alliage argent-cuivre) étaient déposées dans cette même cache, sans contenant.

Cette composition réunissant dans une même cachette des espèces frappées dans les trois seuls métaux monétaires utilisés à l’époque est peu fréquente : on a le plus souvent des trésors constitués uniquement ou de monnaies d’or, ou de monnaies d’argent, ou de monnaies de billon, quelquefois des trésors comprenant à la fois des espèces d’or et d’argent, ou des espèces d’argent et de billon. La répartition des monnaies du trésor de Bazas est d’ailleurs révélatrice : aux deux pots contenant les pièces d’or et d’argent ont été ajoutées en vrac les espèces de billon. On pourrait logiquement parler de deux trésors : un trésor de thésaurisation dissimulé en permanence auquel aurait été adjoint précipitamment un trésor de circulation, constitué des petites espèces utilisées quotidiennement, habituellement placé dans un endroit plus facilement accessible.
Toutes les monnaies de billon (60% du trésor) sont des monnaies locales : essentiellement des hardis d’Aquitaine : du Prince-Noir (1362/1372), des rois d’Angleterre Richard II (1377/1399), Henri IV (1399/1413), Henri V (1413/1422) et Henri VI (1422/1453), ainsi que de Charles de France (1469/1472) et du roi de France Louis XI (1461/1483). La très grande majorité de ces hardis ont été frappés sous les règnes des rois Henri. Il y a aussi quelques liards au dauphin du roi-dauphin Charles VII (1422/1440) et du roi Louis XI (1461/1483) ; cette espèce avait la même valeur de trois deniers que le hardi. Les deniers de Béarn de Jean Ier (1412/1436) et de Gaston de Grailly (1436/1472) sont frappés à Morlaas et représentent le seul autre monnayage du sud-ouest de la France à cette période. La monnaie de billon la plus récente est un hardi de Louis XI de la seconde émission (1478/1483).

Les monnaies d’argent constituent le quart (25%) de l’ensemble. Elles sont de provenances beaucoup plus variées : la seule monnaie d’argent que l’on peut qualifier de locale est le grand blanc du Béarn, de Gaston de Grailly (1436/1472). En étant un peu large, on peut y ajouter les trois monnaies de Louis XI, toutes du Languedoc (Montpellier et Perpignan) et les quatre sols coronats du comté d’Evreux : ils ont été frappés par Charles le Mauvais (1343/1378), également roi de Navarre, et ont circulé dans ce royaume. Les dix monnaies de Provence, de Jeanne (1343/1382) et Louis II (1384/1417), sont déjà plus lointaines. Les autres monnaies féodales sont vingt-sept gros et trois demi-gros de Bretagne émis sous Jean V (1399/1442) et surtout François II (1458/1488), retrouvés bien loin de leur province. Les monnaies d’argent étrangères viennent de la péninsule ibérique, d’Italie et pour quelques-unes unes de régions plus septentrionales : quatre-vingt-treize du royaume de Castille, du règne d’Henri IV (1454/1474), sept de celui d’Aragon des rois Martin Ier (1396/1410), Alphonse IV (1416/1458), Henri IV de Castille (1462/1484) et Pierre du Portugal (1464/1466), vingt et une du royaume du Portugal, toutes du règne d’Alphonse V (1438/1481). Proviennent d’Italie soixante grossone et grossi de Bologne, dix monnaies de Milan, toutes de Galeazzo Maria Sforza (1466/1476), cinq des Etats du Pape : un grossone de Bologne anonyme, deux carlins d’Avignon de Martin V (1417/1431) et Sixte IV (1471/1484), deux tiers de gros d’Ancone de Paul II (1464/1471), et quatre monnaies de Sicile, des rois Frédéric IV (1355/1377) et Jean II (1458/1479). De bien plus au nord sont venus trois gros anglais, émis sous Henri VI (1422/1461), tous d’ailleurs de l’atelier continental de Calais, trois pièces des Pays-Bas : un double-patard de Flandre de Charles le Téméraire (1467/1477) et deux doubles-briquets de Marie de Bourgogne (1477/1482), l’un de Flandre, l’autre de Brabant. Les monnaies les plus récentes sont les gros de roi de Perpignan de Louis XI qui peuvent être datés soit de 1464/1473, soit de 1478/1483 et les doubles-briquets de Marie de Bourgogne, qui portent tous deux le millésime 1478 (ce sont les deux seules monnaies du trésor portant une date).

Les monnaies d’or sont au nombre de cent-cinquante-sept (15% de l’ensemble). Seules peuvent être considérées comme locales les quatre monnaies d’Aquitaine : un léopard d’or d’Edouard III (1327/1362), et trois pavillons d’or du Prince Noir (1362/1372), l’écu de Béarn de Catherine (1483/1484) et les quelques monnaies des rois de France émises par les ateliers de la région. Les monnaies royales françaises représentent plus de la moitié des pièces d’or ; elles couvrent les règnes de Jean le Bon (1350/1364), Charles VI (1380/1422), Henri VI (1422/1453), Charles VII (1422/1461), Louis XI (1461/1483) et Charles VIII (1483/1498), mais sans aucune dominante locale marquée : il y a bien trois monnaies de Bordeaux, six de La Rochelle, et six de Toulouse, mais les ateliers les plus abondamment représentés sont Saint-Lô et Tournai (avec huit pièces). Le contingent de monnaies d’or étrangères a la même physionomie que celui des monnaies d’argent : on y trouve des pièces de la péninsule ibérique : deux d’Aragon (Alphonse IV, 1416/1458), cinq de Castille (Henri IV, 1454/1474), deux du royaume d’Espagne (Ferdinand et Isabelle, 1469/1504), et deux du Portugal (Alphonse V, 1438/1481, et Jean II, 1481/1495), des pièces d’Italie : une de Naples (Alphonse IV d’Aragon, 1442/1458), une de Sicile (Jean II (1458/1479), et deux de Venise (Francesco Foscari, 1423/1457 et Andreas Vendramin, 1476/1478), des monnaies des Pays-Bas : un cavalier d’or de Philippe le Bon (1430/1467) du comté de Bourgogne, huit lions d’or de Flandre, trois de Brabant, et un de Hainaut, de Philippe le Bon également, et vint et un florins d’Utrecht, de l’évêque David de Bourgogne (1456/1496), enfin dix-neuf monnaies anglaises, d’Henri V (1413/1422), Henri VI (1422/1461), Edouard IV (1461/1470 et 1471/1483), et Richard III (1483/1485). Les monnaies d’or les plus récentes sont l’écu de Béarn de Catherine (1483/1484), l’écu au soleil de Charles VIII (1483/1494) et l’angelot de Richard III (1483/1485).

L’abandon de ce trésor se situe donc après 1483 ; ce terminus post quem nous est fourni par les monnaies d’or : deux d’entre elles ont été émises non très loin de Bazas : à Morlaas pour l’écu de Béarn de Catherine et à Poitiers pour l’écu de Charles VIII (après le 11 septembre). Cependant la troisième vient de plus loin : l’angelot de Richard III d’Angleterre a été frappé à Londres entre 1483 et 1485. Le terminus ante quem est toujours plus délicat à définir, puisqu’il repose sur l’absence de monnaies que l’on pourrait s’attendre à trouver si le trésor avait été abandonné après une certaine date : l’absence des excellentes de Ferdinand et Isabelle (1497), de l’écu au soleil de la deuxième émission de Charles VIII (1494) ou de monnaies d’argent d’Anne de Bretagne (1488) nous laissent trop loin : on retiendra plutôt l’absence de cruzades portugaises postérieures à 1485, de monnaies d’or d’Henri VII d’Angleterre (1485) ou de pièces d’argent du Pape Innocent VIII (1484). On notera également l’absence de tout hardi de Charles VIII, pourtant émis à partir de 1483, et de toute pièce des Pays-Bas de Philippe le Beau (1482), même si le monnayage a continué au nom de Marie jusqu’en 1485 dans certaines provinces. Ces indices nous incitent à ne pas repousser très loin au-delà de 1483 le terminus ante quem : 1486 nous semble encore possible. La Chronique de Bazas (Archives historiques de la Gironde, XV) qu’a dépouillée pour nous M. J.-B. Marquette, des « Amis du Bazadais », ne mentionne aucun événement tragique susceptible d’avoir provoqué un enfouissement précipité. Tout au plus est-il mentionné qu’en 1486 « le captal de Buch ayant résolu de mettre cent hommes du seigneur de Taillebourg pour servir de garnison à la ville, les Bazadais réunirent une troupe de cent hommes armés auxquels cette charge fut confiée ». L’époque est au repeuplement et à la reconstruction : le 26 décembre 1485, on décide la construction d’un marché ; le clocher de la cathédrale est achevé à la fin du XVe s.

On peut donc supposer que la cause de l’abandon dans sa cachette du trésor de Bazas est d’ordre privé, due à un accident, une maladie (mais aucune épidémie n’est signalée à cette époque), voire à un crime. Il est certain que son propriétaire jouissait d’une fortune assez importante pour pouvoir thésauriser tant de monnaies d’or et d’argent. La composition de cet ensemble suscite quelques réflexions sur les sources de sa fortune. Les monnaies de billon ne nous révèlent rien : elles ont été prélevées dans la circulation locale et elles y seraient certainement retournées rapidement sans la disparition de leur propriétaire. Les monnaies d’argent sont plus révélatrices : les monnaies locales, même en prenant ce mot au sens large, sont peu nombreuses. Le plus grand nombre de ces pièces d’argent proviennent d’Espagne, du royaume de Castille et du Portugal essentiellement ; ce sont d’assez petites espèces, mais il n’en existait pas de plus importantes en ce métal. Les monnaies d’argent provenant d’Italie sont en grand nombre également ; il y a parmi elles des monnaies lourdes : grossone de Bologne et testons de Milan. Le trésor de Bazas est sans doute le trésor découvert en France le plus ancien à contenir des testons, tous du créateur de cette nouvelle espèce qui ne sera émise en France qu’à partir de 1514. Le nombre de monnaies de Bologne, ville qui n’est pas un port, ne peut s’expliquer que par des relations particulières entre notre propriétaire et des habitants de cette ville. Les quelques pièces d’argent étrangères venues du nord ne sont pas très évocatrices. Mais les trente monnaies bretonnes le sont davantage : on sait qu’à cette époque la navigation commerciale de l’Aquitaine était dominée par les navires bretons, qui assuraient aussi-bien les transports vers l’Angleterre ou les Pays-Bas, que vers l’Espagne. Les monnaies d’or françaises ne nous donnent pas de renseignements précis : leur répartition est très vaste et homogène. Les quelques pièces d’or de la péninsule ibérique sont à rapprocher des pièces d’argent de même origine. On ne peut en dire autant des pièces italiennes d’or : contrairement à celles d’argent, elles sont du sud et de villes portuaires : Naples, Sicile et Venise ; le sequin était le véritable dollar de l’époque. Les monnaies venues du nord (Angleterre et Pays-Bas) sont nombreuses et témoignent d’une activité économique avec ces régions : en particulier sans doute avec Utrecht, dont vingt et un florins au saint Martin ont été thésaurisés, ce qui peut sembler surprenant, cette espèce n’ayant pas la réputation d’être de très bon aloi.
Bazas était une ville au rôle régional très important : rôle religieux, Bazas était le siège d’un évêché ; rôle militaire: la ville était fortifiée, elle se dota elle-même d’une garnison de cent hommes ; rôle économique : place de marché majeure, elle semble gérer avec décision son développement, en construisant un nouveau marché (1485). La région exploitait ses vignobles bien-entendu, mais aussi déjà le bois : des italiens installés à Bordeaux exportaient de la résine, et de la térébenthine. Et c’est précisément à cette période, à partir de 1475, que la culture du pastel s’implanta et devint une source d’enrichissement rapide pour la région. Le propriétaire de ce trésor avait sans doute participé à l’essor de sa cité en commerçant avec une grande partie de l’Europe : Pays-Bas, Angleterre, Espagne et Portugal, Italie.